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Les ombres du gouffre, deuxième souffle...

Les ombres du gouffre, deuxième souffle...
25 juin 2007

Face aux ténèbres - William Styron



Extraits choisis :

-« Les spécialistes les plus honnêtes reconnaissent franchement qu’une dépression grave se prête mal à un traitement aisé. Au contraire, disons, du diabète, dont avec des mesures immédiates prises pour corriger l’accommodation du corps au glucose, il est possible de renverser de façon spectaculaire et finalement de maîtriser une évolution dangereuse, il n’existe, dans les phases critiques de dépression, aucun remède efficace à court terme : cette impuissance à soulager le mal est l’un des facteurs les plus pénibles de la maladie à mesure que la victime en prend conscience, un facteur qui en outre la situe sans ambiguïté dans la catégorie des affections graves. »

-[…] « ces ouvrages soulignent cette cruelle vérité que les graves dépressions ne sauraient disparaître du jour au lendemain. Tout cela tend à mettre en évidence une réalité fondamentale quand bien même navrante, mais qu’il convient, je crois, de mentionner au début de ma chronique : dans sa forme pathologique, la dépression demeure un immense mystère. Elle a livré ses secrets à la science avec infiniment plus de réticences que nombre d’autres maux graves qui nous assaillent. »

-« Mais en réalité mon comportement était imputable à ma maladie, qui avait évolué au point de révéler certaines de ses caractéristiques les plus connues et les plus sinistres : confusion, impuissance à se concentrer et trous de mémoire. Lors d’une étape ultérieure, mon esprit tout entier serait assujetti à des incohérences anarchiques ; je l’ai dit, j’en étais à un stade qui n’allait pas sans évoquer une bifurcation psychique : une forme de lucidité au cours des premières heures de la journée, une confusion grandissante au cours de l’après-midi et de la soirée. »

-« Ce qui m’amène à évoquer de nouveau la nature ‘indicible’ s’impose à mon esprit n’est nullement fortuit dans la mesure où, il convient de souligner, s’il était aisé de décrire la douleur, la plupart des innombrables victimes de ce fléau séculaire seraient capables de décrire sans réticences à leurs amis et leurs proches(et même à leurs médecins) certaines des dimensions réelles de leur tourment, provoquant, peut-être ainsi une compréhension qui, dans l’ensemble, a toujours fait défaut ; une telle incompréhension relève en général non d’une absence de compassion, mais de l’incapacité fondamentale où se trouvent les gens bien portants de ce représenter une forme de tourment totalement étrangère à l’expérience quotidienne.
Pour ma part, cette douleur s’apparente étroitement à la noyade ou à la suffocation.[…] William James[…] suggère la quasi-impossibilité lorsque dans ‘Les Variétés de l’expérience relieuse il écrit : « Il s’agit d’une angoisse positive et active, une sorte de névralgie psychique totalement étrangère à la vie normale. »

-« Le climat de la dépression est dépourvu de nuances, sa lumière est un camouflage. »

-« Je crois en la réalité des malheurs qu’inconsciemment nous perpétrons sur nous-mêmes[…]. »

-« […] Il n’y a qu’un problème sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. »

-« […] En l’absence de tout espoir, nous devons néanmoins continuer à lutter pour survivre, et de fait nous survivons – de justesse. »

-« En dépit de champs d’action éclectique de la dépression, il à été démontré de façon relativement convaincante que les gens de tempérament artistique(surtout les poètes) sont particulièrement vulnérables à ce type de mal –qui, dans sa manifestation clinique la plus grave prélève 20% de son tribut par le suicide. »

-« Je serais enclin à préconiser une formulation saisissante. ‘Tempête sous un crâne’, par exemple, a malheureusement déjà été utilisé pour décrire, de façon plutôt facétieuse, l’inspiration intellectuelle. Mais quelque chose de cet ordre s’impose. Informé que les troubles psychiques dont souffre quelqu’un ont dégénéré en tempête – une authentique tempête déchaînée dans le cerveau, car c’est là en réalité ce qu’évoque le plus fidèlement une dépression clinique –même le profane serait enclin à manifester de la compassion plutôt que la classique réaction suscitée par le mot ‘dépression’, quelque chose du genre de ‘Et alors ?’, ou bien ‘Vous finirez par vous en sortir’. Ou encore ‘Tous le monde a ses mauvais moments’ ».

-« manifestement, de multiples composantes interviennent – trois ou quatre peut-être, très probablement davantage, au gré d’insondables permutations. C’est pourquoi la plus grande illusion à propos du suicide réside dans cette croyance qu’il existe une réponse clef, unique et immédiate – voire même un faisceau de réponses – quant aux raisons susceptibles d’expliquer l’acte. »

- Somatisation ?
« Il est aisé de voir comment cet état est inséparable du système de défense de la psyché : répugnant à se résigner à sa dégradation menaçante, l’esprit annonce à la conscience qui l’habite que c’est le corps, le corps avec ses défauts peut-être corrigibles – et non le précieux, l’irremplaçable esprit – qui menace de se détraquer. »

-« Baudelaire[…] ‘J’ai senti passer sur moi le vent de l’aile de l’imbécillité.’
Ce moderne besoin compréhensible peut-être que nous éprouvons de rogner les dents acérées de ces multiples calamités qui sont notre lot, nous a amenés à bannir les mots rudes, désormais désuets : maison de fous, asile, aliénation, mélancolie, dément, dingue, folie. Que jamais pourtant il ne soit mis en doute que la dépression, dans sa forme extrême est folie. »

-«  Mais en raison de cette effroyable tendance à l’introspection, les victimes de la dépression ne sont en général dangereuses que pour elles-mêmes. La folie de la dépression est, en règle générale, l’antithèse de la violence. Certes c’est une tempête, mais une tempête des ténèbres. Bientôt se manifestent un ralentissement des réactions, une quasi-paralysie, une diminution de l’énergie psychique proche du point zéro. En dernier ressort, le corps est affecté et se sent miné, drainé de ses forces. »

-« La mort, je l’ai dit, était désormais une présence quotidienne, dont le souffle déferlait sur moi en rafales glacées. Je ne me représentais pas avec précision comment surviendrait ma fin. Bref, je m’obstinais à repousser toute idée de suicide. Mais manifestement, la possibilité rôdait autour de moi, et je ne tarderais plus à l’affronter. »

-« […] le petit chagrin gris de l’horreur qu’induit la dépression peut s’assimiler à la douleur physique. Pourtant ce n’est pas une douleur immédiatement identifiable[…]. »

-« Il me demanda si j’étais suicidaire et, avec répugnance, je lui avouai que oui. […] nombre des objets qui peuplaient ma maison étaient devenus de possibles instruments pour mettre fin à mes jours[…]. Peut-être trouvera t’on ces pensées bizarrement macabres –une plaisanterie forcée- mais elles sont authentiques. […] il est vrai que ce genre d’horribles fantasmes, qui font frissonner les gens bien portants, sont, à l’esprit plongé dans la dépression, ce que les rêveries libidineuses sont aux personnes dotées d’une robuste sexualité. »

-« […] le sentiment aigu de perte est inséparable de l’intuition que la vie s’enfuit à une vitesse croissante. »

-« […]cette phase de la maladie où tous vestiges d’espoir avait disparu, en même temps que l’idée d’un possible futur ; mon cerveau, esclave de ses hormones en folie, était devenu moins un organe de la pensée qu’un simple instrument qui, au fil des minutes, enregistrait les variations de sa propre souffrance. »

-« […]Un aspect fascinant de la psychopathologie.[…] un phénomène parallèle, à savoir l’impuissance probable de la psyché à assumer la douleur au-delà des limites temporelles prévisibles. »

-«[…] dans les cas de dépression, cette foi dans la délivrance, dans un ultime rétablissement fait défaut. La souffrance est implacable, et ce qui rend cette condition intolérable est de savoir à l’avance qu’aucun remède ne se matérialisera – fût-ce dans un jour, une heure, un mois, ou une minute. C’est l’absence d’espoir qui plus encore que la souffrance broie l’âme.
C’est ainsi que les décisions à prendre dans le quotidien n’impliquent pas, comme dans la vie courante, le passage d’une situation exaspérante à une autre moins exaspérante –ni de l’inconfort à un relatif confort— mais le passage d’une souffrance à une autre souffrance. On n’abandonne jamais, pas même un instant, sa planche à clous, l’on reste couché dessus, où que l’on aille ; ce qui aboutit à une extraordinaire expérience – une expérience que, puisant dans la terminologie militaire, j’ai appelée la condition de blessé ambulatoire.[…] la victime d’une dépression n’a pas ce genre d’option et en conséquence se retrouve, à l’instar d’un blésé de guerre ambulatoire, plongé dans d’intolérables situations sociales et familiales. Et là il lui faut, malgré l’angoisse qui dévore son cerveau, offrir aux autres un visage analogue à celui que l’on associe aux circonstances et aux relations de la vie normale. »

-« […] l’auto humiliation féconde de la mélancolie. »

-« Un phénomène que beaucoup de gens en proie à une grave dépression ont pu constater, est la sensation d’être en permanence escorté par un second moi – un observateur fantomatique qui, ne partageant pas la démence de son double, et capable d’observer avec une curiosité objective tandis que son compagnon lutte pour empêcher le désastre imminent, ou prend la décision de s’y abandonner. Il y a là quelque chose de théâtral. »

-« […] le texte lapidaire de l’écrivain Cesare Pavese, qui en guise d’adieux se contenta d’écrire : Assez de mots. Un acte. Jamais plus je n’écrirais. »

-«  Un grand nombre – la moitié en fait – de ceux qui sont un jour terrassés, soient condamnés à l’être de nouveau tôt ou tard, est un tourment de Sisyphe ; la dépression a coutume de récidiver. »

-« Une rude tâche que de lancer : « Courage ! » quand on est en sécurité sur le rivage à quelqu’un qui se noie, ce qui équivaut à une insulte, mais, et la preuve en a été faite à d’innombrables reprises, si l’encouragement est suffisamment opiniâtre – et le soutient également fervent et impliqué – la personne en péril peut dans la plus grande majorité des cas être sauvée. La plupart des gens en proie aux affres de la dépression se trouvent, on ne sait pour quelle raison, plongés dans un état de désespoir irréaliste, déchirés par des maux exagérés et des idées de mort sans rapport avec le réel. Cela peur exiger de la part des autres – amis, amants, famille, admirateurs – un dévouement quasi religieux pour convaincre les victimes que la vie vaut la peine d’être vécue, ce qui souvent est en conflit avec le sentiment qu’elles ont de leur propre inutilité, mais ce genre de dévouement a empêché d’innombrables suicides. »

-« Pour la plupart de ceux qui l’ont connue, l’horreur de la dépression est à ce point accablante qu’elle en est inexprimable, d’où le sentiment frustré de relative impuissance qui se décèle dans les œuvres des plus grands parmi les artistes. »

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